Le Livre Blanc Transports de l’Union Européenne 2011

Une critique1

Le 28 mars 2011, la Commission de l’UE a présenté le Livre Blanc „Feuille de route pour un espace européen unique des transports – Vers un système de transport compétitif et économe en ressources“. Dès l’énoncé du titre de ce nouveau Livre Blanc Transport, la contradiction inhérente à ce projet est mise en évidence à double titre :

– Un „espace unique des transports“ induit l’harmonisation, la compensation sociale ; l’accessibilité pour tous – un „système de transport compétitif“ induit par contre la différenciation et l’imposition du principe selon lequel le plus fort dispose de meilleures chances.

– Un „système de transport économe en ressources“ a pour objectif la protection de l’environnement, une faible consommation en énergie ; la réduction de ce qu’on appelle les coûts externes du transport – un „système de transport compétitif“ a par contre pour objectif des coûts faibles pour l’exploitant et des coûts externes plus importants et rend hommage au principe de rapidité et d’efficacité, ce qui est en règle générale lié à une consommation élevée de ressources.

Ces contradictions déjà manifestes dans le titre ne sont pas l’effet du hasard. Dans ce sens, on pourrait dire que le titre est à peu près honnête et plutôt programme.

Il est vrai que le Livre Blanc de l’UE ne déclencha pas l’enthousiasme ; mais il a quand même fait l’objet de mentions élogieuses. Dans une prise de position du Syndicat Européen du Transport EVG, on peut lire : „On trouve dans le livre blanc toute une série de bonnes approches, susceptibles de renforcer le rail dans la concurrence internationale.“ Et : „Les objectifs (dans ce Livre Blanc ; W.W.) ne sont pas nouveaux. Mais il est positif qu’ils sont définis maintenant comme objectifs officiels au plus haut niveau.“.

Quant à moi, je parviens à d’autres conclusions. Les objectifs avancés dans ce Livre Blanc sont ceux que l’UE avance depuis plus de quinze ans – toujours au plus haut niveau. Et ce sont justement ces approches de la politique des transports de l’UE qui affaiblissent le rail depuis bien longtemps et qui vont de plus en plus nuire au rail dans un avenir proche.

Avant de me pencher sur des détails, je voudrais dire quelques mots sur le caractère du Livre Blanc de l’UE et en même temps classer le nouveau Livre Blanc de l’UE dans la galerie des Livres Blancs de l’UE se rapportant à la question du transport.

1. Caractère et galerie des livres blancs de l’UE se rapportant au transport

1 Le texte repose sur deux conférences tenues par l’auteur sur le thème „Livre Blanc 2011 de l’UE“ le 9 novembre 2011 à Bautzen pour la commission économique Industrie Ferroviaire du syndicat IG Metall et le 30 novembre 2011 à Bruxelles pour l’European Metal Worker’s Federation (EMF) -1st Workshop of the EMF train project -. Les citations extraites des libres blancs de l’UE reposent sur le texte allemand et sur le document de l’UE „KOM(2011) 144 définitif“ (Bruxelles, 29 mars 2011) dans le cas du Livre Blanc Transport 2011.

2 Les livres verts ont été publiés sous l’égide du commissaire respectivement responsable de l’environnement. Du point de vue de la politique environnementale, ils étaient en règle générale plus progressistes que les livres blancs de l’UE. Les livres blancs Transports ont été élaborés sous l’égide du commissariat de l’UE respectivement en charge des transports.

3 Voir Winfried Wolf, La politique des transports de l’Union Européenne, 2004. L’étude – non publiée – a été élaborée dans le cadre d’un travail de recherche pour le Centre Scientifique de Berlin (Wissenschaftszentrum WZB) et pour la Fondation Hans-Böckler de la confédération syndicale DGB.

4 L’étude „Coûts externes des transports“ a été rédigée par les Instituts INFRAS à Berne et IWW à Karlsruhe ; elle a été réalisée pour la première fois en 1994 et mise à jour en 2000 et en 2004. Auteurs : Christoph Schreyer (INFRAS), Christian Schneider (INFRAS), Werner Rothengatter (IWW), Claus Doll (IWW) et David Schmedding (IWW). La base géographique exacte se réfère à une structure nommée „EUR-17“ ; ceci signifie l’UE de l’époque avec 15 pays membres et les pays non-UE Suisse et Norvège. En raison des transports internationaux, les „îlots“ Suisse et Norvège ont été intégrés dans l’analyse.

5 TEN = Trans European Networks ; grands projets de l’UE dans le secteur des transports. En font partie entre autres les liaisons Scanlink Danemark-Suède, la liaison Fehmarnbelt entre l’Allemagne et le Danemark, le tunnel de base du Brenner, la ligne à grande vitesse Turin-Lyon (Val di Susa), Stuttgart 21 et la nouvelle ligne Wendlingen-Ulm, les lignes à grande vitesse en écartement de voie normal sur la péninsule ibérique comme Madrid-Barcelone, Madrid-Séville et Madrid-Lisbonne.

6 Les coûts liés aux bouchons sont des coûts occasionnés en règle générale dans le trafic routier, car c’est uniquement dans ce type de trafic, en raison de son organisation anarchique („chacun prend simplement la route“), que se produisent d’importants bouchons, tandis que les trafics aérien et ferroviaire sont organisés selon un plan précis et en fonction des capacités existantes. Il est donc évident que le fait de définir les coûts liés aux bouchons comme des „coûts externes“, comme ce fut le cas dans certains livres verts et blancs de l’UE se rapportant aux transports, donne une image déformée. Il est généralement admis que les routes produisent du trafic routier et des bouchons et que c’est justement la région présentant le réseau autoroutier le plus dense au monde, Los Angeles, qui présente le plus grand nombre de bouchons.

7 En France et en Allemagne, la construction d’un réseau à grande vitesse est intervenue parallèlement à la réduction du réseau global. Souvent, des lignes à grande vitesse remplacent tout simplement des lignes existantes pour le trafic ferroviaire conventionnel. Le terme „construction d’un réseau à grande vitesse“ suggère la création de quelque chose de complémentaire, en plus du réseau classique. Ceci n’est vrai que pour une petite portion des lignes à grande vitesse.

8 Volume du trafic = total de tous les déplacements ; prestation de transport = nombre de déplacements multiplié par les kilomètres parcourus (= kilomètres passager)

9 Selon l’expertise PRIMON de Booz Allen Hamilton, „les subventions publiques moyennes annuelles en Euro cents par kilomètre unitaire (Ptkm) des chemins de fer sur la période entre 1995 et 2003“ étaient de 2,4 cents en Suisse, 4,2 en Suède, 5,3 en Grande-Bretagne, 6,2 en France, 6,6 en Autriche, 7,0 en Allemagne, 6,7 au Danemark, 9,2 aux Pays-Bas et 9,4 cents en Italie. Ce qui signifie que les offres plutôt piètres en chemins de fer en Autriche ou en Allemagne coûtent au contribuable presque trois fois autant que ce que les Suisses paient dans leur pays pour une offre en chemins de fer plutôt luxueuse. Il faut rappeler que le rapport d’expertise (PRIMON = Privatisation avec ou sans réseau) a été rédigé par des personnes poursuivant l’objectif d’une privatisation de la Deutsche Bahn AG. Alternatives de privatisation de la Deutsche Bahn AG – avec ou sans réseau, Booz Allen Hamilton, Janvier 2006, page 77 (Version pour les députés au parlement allemand). L’unité „Ptkm“ est une valeur artificielle – judicieuse -, qui additionne les kilomètres-passager (Pkm) et les kilomètres-tonne (tkm) pour obtenir ainsi une valeur de prestation unitaire, sur laquelle seront basées les subventions publiques. Si on traduit ces données : pour permettre la prestation d’un kilomètre-passager et d’un kilomètre-tonne, les contribuables suisses paient 2,4 cents, etc.

10 Il est vrai qu’en Suisse, la SBB (Schweizerische Bundesbahnen) a la forme juridique d’une société par actions (à 100 % entre les mains de l’état), mais il s’agit d’une société par actions de droit propre, qui est tenue par la loi au respect d’objectifs spécifiques, particulièrement au niveau de la politique des transports.

11 Un tel programme a déjà été mis au point en mai 2009 et présenté en commun par le syndicat britannique des transports RMT (National Union of Rail, Maritime and Transport), l’association Bahn für Alle (le train pour tous), le parti Les Verts en Rhénanie du Nord-Westphalie et Johannes Hauber en qualité de secrétaire général du CE de Bombardier Transportation. Voir „Reverse European transport policy NOW! – Fight the Crisis – Program Railway Europe 2025 (Une nouvelle politique européenne des transports MAINTENANT – Combattre la crise – Programme chemins de fer Europe 2025), paru : Lunaopark 21, Extra01, juillet 2009. Dans ce „Programme Chemins de fer Europe 2025“ – disponible en anglais et en allemand -, des paramètres identiques à ceux évoqués plus haut sont présentés et chiffrés en Euro. La totalité du programme est chiffrée à des coûts de 500 milliards d’Euro pour la période 2010 à 2025 – auxquels s’opposent des économies déjà plus importantes après une décennie réalisées au niveau des coûts externes. Début 2009, ce programme a été élaboré au milieu de la nouvelle crise de l’époque. Il pourrait y avoir en 2012 une situation nous rappelant cette époque…