Le faux « modèle » de la réforme du chemin de fer allemand

Une comparaison entre la réforme du chemin de fer en Allemagne ( 1994 à 2018 ) et le projet de réforme de la SNCF en France ( 2018 et suivantes )

de Dr. Winfried Maria Wolf

[traduction : Bernard Schmid]

En France et en Allemagne, le transport ferroviaire, favorable à l’écologie et au climat, est démantelé à travers des mesures similaires. En Allemagne, ce processus destructeur a pu être mené depuis la « réforme du rail » de 1994 sans trop faire de bruit. En France, ce projet d’une nouvelle réforme de la SNCF rencontre des résistances…. et une vague de grève et de protestation massive.

Si on connaît les différentes étapes de la privatisation du chemin de fer en Allemagne et si on suit, ces jours-ci, quel genre de « réforme du chemin de fer » le président Emmanuel Macron ou le gouvernement du Premier ministre Edouard Philippe entendent imposer avec la ministre des Transports Elisabeth Borne, on constate alors de nombreux parallèles. Le propos du président Emmanuel Macron, qui prétend que la réforme allemande serait un « exemple » positif pour ce qui est programmé en France, n’est pas rassurant. Cette réforme allemande est, au vu de ses effets destructeurs, clairement révélatrice et devrait servir de dissuasion.

15 caractéristiques de la réforme du chemin de fer allemande – 15 parallèles avec la réforme de la SNCF

  • Statut de Société par actions – des tentatives répétées de privatisation

Après l’unification allemande en 1990, il existait en Allemagne deux chemins de fer publics : en Allemagne de l’Ouest la « Deutsche Bundesbahn » (« chemin de fer fédéral allemand ») et en ex-Allemagne de l’Est, dans l’ancienne RDA, la « Deutsche Reichsbahn » ). Les deux ont été fusionnés au début de l’année 1994 et transférés dans une nouvelle Société par actions sous le titre « Deutsche Bahn AG » ( « Chemin de fer allemand S.A. »).

Cela a été célébré comme « un nouveau début pour le secteur du rail », comme « la fin du chemin des fer des fonctionnaires » et présenté comme « une nouvelle orientation de l’entreprise ferroviaire vers le client ».

Pour cette « réforme du chemin de fer », la constitution allemande ( appelée « Loi fondamentale » ) a été modifiée, fin 1993. Depuis ce changement, la Deutsche Bahn AG, mentionnée à l’article 87 e de la constitution doit – d’un côté – être géré « comme une entreprise économique sous statut de droit privé ». Il est possible d’en déduire une orientation vers la profit. De l’autre côté, « le maintien et le développement du réseau ferroviaire » et « les prestations de transport » doivent, toujours selon le même article, continuer à être garantis en fonction « des besoins en matière de transport » et « du bien public ».

Le transport de personnes à courte distance a été, en même temps, transféré à la compétence des Etats-régions ( Länder ).

Dans le cadre des débats accompagnant la réforme du chemin de fer, il a souvent été prétendu qu’il n’y aurait pas de privatisation du chemin de fer. Mais en même temps, depuis cette date, il n’y a plus de protection contre une décision de privatisation. Seulement l’infrastructure – le réseau ferroviaire – doit, selon la constitution modifiée en 1993, rester dans le giron de la propriété publique.

Depuis, il y a eu un processus de privatisation massif, et ce sur deux niveau :

D’abord chez la Deutsche Bahn AG ( DB AG ) elle-même. Jusqu’ici, le propriétaire de la Deutsche Bahn AG demeure à 100 % l’Etat fédéral. Cependant, depuis 2000, il y a eu des tentatives répétées de privatiser matériellement la Deutsche Bahn AG. En 2007, le projet de privatiser la totalité du chemin de fer ( l’activité de transport et l’infrastructure ) a échoué. En 2008, a échoué aussi le projet d’introduction en bourse des parties de la DB AG dans lesquelles sont concentrées l’activité de transports des personnes ( à courte et à longue distance ), le fret et la logistique. Les sociétés chargées de ces activités ( NOTE DU TRADUCTEUR : filiales de la DB AG ) étaient, jusqu’en 2017, fédérées dans une sous-holding sous le titre de DB ML, pour DB Mobility Logistics.

La raison de cet échec résidait dans une vive résistance au sein de la population, une campagne contre cette introduction en bourse, un grève du syndicat GDL ainsi que dans la crise des marchés financiers qui a éclaté à l’été 2008.

Depuis, il y a eu plusieurs nouvelles tentatives de privatisation de la DB AG. La dernière fois en 2015/16. Il était alors prévu que des « investisseurs » entrent dans le capital de DB ML ( chez les sociétés filiales de la Deutsche Bahn AG ). Cette tentative a aussi été stoppée – en tenant compte de l’approche des élections législatives générales de 2017.

Deuxièmement, il y a eu un processus de privatisation à travers l’ouverture du secteur ferroviaire à la concurrence. Depuis 1994, il existe une concurrence grandissante dans l’activité du transport ferroviaire sur le réseau allemand. En conséquence, entre-temps plus de 40 % du transport de personnes à courte distance ( local / régional ) sont gérés par des sociétés « privées ». La filiale de la DB AG pour ce secteur, DB Regio, contrôle encore environ 55 % de parts d’activité. La situation est similaire dans le secteur du fret, où la proportion des entreprises privées se situe à 45 % et où la filiale de la DB AG – ici : DB Cargo ( jusqu’il y a peu, elle portait le nom « Railion ») -, contrôle encore un peu plus de 50 % de parts d’activité.

Dans le transport de personnes à moyenne et longue distance, la DB, à travers sa filiale DB Fernverkehr, contrôle encore plus de 95 % de parts d’activité. Depuis 2017, la compagnie de bus à longue distance Flixbus – qui fait désormais circuler des premiers trains à son tour – lui fait concurrence.

SNCF : Il est prévu de transformer la SNCF en Société par actions et la ouverture du secteur ferroviaire pour la concurrence.

  • Démembrement d’une société de chemins de fer unique en différentes entreprises sectorielles

Après la réforme du chemin de fer allemande de 1994, il y a eu plusieurs processus de démembrement et de scission de la Deutsche Bahn.

Actuellement ( à la mi-2018 ), nous trouvons une holding ( groupe de sociétés ). Sous le toit de cette holding, il y a :

  • Les entreprises d’infrastructure Netz AG ( NOTE DU TRADUCTEUR : « Réseau S.A. », qui devrait être à peu près comparable à l’entreprise RFF en France ) et Station & Service AG (pour les gares ). Les deux constituent formellement des Sociétés par action indépendantes.
  • Les sociétés pour le transport de personnes ferroviaire : DB Fernverkehr ( pour le transport à longue distance ), DB Regio ( pour le transport local et régional ) et DB Cargo ( pour le fret ). Là aussi, il s’agit de Sociétés par actions.
  • La société de logistique DB Schenker ( elle aussi une Sociétés par actions, qui contrôle surtout l’activité de logistique internationale ainsi que l’activité dans le transport routier – par camions – à l’intérieur de l’Allemagne ).
  • DB Arriva ( une Société par actions, qui fédère des activités dans le transport par bus et par train à l’échelle de l’Europe ).

Ces segmentations ont été conduites systématiquement au cours des 24 dernières années. Au total, il existe plus de 500 sociétés filiales indépendants de la DB.

En même temps, la cohésion des différents secteurs ferroviaires, auparavant réunis, est devenue de plus en plus fragile. Très souvent les uns semblent travailler « contre » les autres. Des trains interrégionaux n’attendent plus les passagers de trains régionaux, même en cas de petits retards. Les redevances à verser pour l’utilisation des lignes et des gares sont exorbitantes et deviennent de plus en plus élevées ( voir ci-dessous, point 10).

Les sociétés de chemin de fer « privées » sur le réseau allemand sont souvent des filiales des entreprises ferroviaires publiques de pays voisins. En autres de la filiale SNCF : Keolis, de la filiale du chemin de fer public italien ( FS ) : Netinera, du chemin de fer public néerlandais ( NS ) : Abellio, des Chemins de fers fédéraux suisses ( SBB ) : SBB Cargo, etc.

Officiellement il est affirmé qu’il existe toujours en Allemagne un « chemin de fer intégré ». Mais cela ne concerne que la couche extérieure, formelle. La réalité est devenue tout autre.

SNCF: Il existe en France depuis longtemps vers une segmentation similaire. Avec la transformation en Société par action et dans le contexte dominé par les directives de l’Union européenne, la menace est ici aussi celle d’une aggravation massive de cette division.

  • Le statut des salarié-e-s et la situation de personnel

En Allemagne, le statut de fonctionnaire a été supprimé pour les nouveaux embauchés à partir de 1994, avec la fondation de la Deutsche Bahn AG. Cela allait de pair, pour ces nouveaux embauchés (qui, entre-temps, sont largement devenus majoritaires parmi les personnels de Deutsche Bahn AG ), avec une baisse des revenus du travail moyens et des droits à la retraite. Ceci était accompagné d’une campagne démagogique contre « le chemin de fer des fonctionnaires » (ancien ), dont les agents auraient été des « privilégiés ».

Les conséquences sont dévastatrices. Alors que le métier de cheminot était autrefois doté d’un fort prestige et que celui de conducteur de locomotive était un rêve pour beaucoup, aujourd’hui, une nette majorité des salariés du chemin de fer se montre aujourd’hui insatisfaite avec son travail. L’identification avec l’entreprise est devenue très faible chez les salariés de DB. La réputation de la Deutsche Bahn, selon des sondages, occupe l’avant-dernière position parmi les grandes entreprises connues – uniquement celle de la Deutsche Post ( Poste allemande ), elle aussi privatisée dans les années 1990, est plus mauvaise encore.

SNCF: En France, avec a réforme de la SNCF, il s’agit de supprimer le « statut de cheminot » pour tous les nouveaux embauchés. Ce « statut » constitue une relation de travail de droit public qui – étant la conséquence de luttes sociales passées – offre un peu plus de protection que dans le secteur privé, et parfois des conditions de travail plus favorables. Ici aussi, il est dit qu’il s’agirait de « réduire des privilèges ». Le magazine allemand « Der Spiegel » a prétendu ( dans son numéro du 07 avril 2018 ) que pour les agents de la SNCF, il y aurait « des augmentations de salaire automatiques et un âge de départ à la retraite de 52 ans ». Le Frankfurter Allgemeine Zeitung ( NOTE DU TRADUCTEUR : quotidien de droite et proche des milieux économiques ) a écrit, dans son numéro du 22 février 2018 : « Conducteur de locomotive en France – un métier de rêve. » Dans les médias français, il était question d’un salaire moyen pour les agents de la SNCF autour de 3.000 euros. La réalité est bien différente. Presque deux tiers des salariés de la SNCF gagnent moins de 1.600 euros net. Le temps réel de départ à la retraite est situé autour de 60 ans – celui ou celle qui partirait à 52 ans aurait tant de décote par rapport une retraite à taux plein, qu’il ne pourrait pas en vivre.

  • Réduction de l’emploi

En Allemagne, il y avait en 1994, chez Bundesbahn und Reichsbahn encore 350.000 salarié-e-s. Ces derniers étaient engagés à 95 % dans le domaine du transport ferroviaire à l’intérieur de l’Allemagne.

En mai 2018, il reste chez Deutsche Bahn AG dans le secteur du rail encore 170.000 Salariés. S’y ajoutent moins de 10.000 salariés chez des société de chemins de fer privées ( les sociétés gérant une activité de transport ferroviaire dans le domaine du transport de personnes local / régional et du fret ). Au total, dans le secteur du rail, il y a aujourd’hui moins de 180.000 salariés. Le personnel des chemins de fer s’est ainsi réduit presque de la moitié, depuis 1994.

SNCF: Dans le chemin de fer français, aussi, il y a un ces deux dernières décennies une réduction nette du volume de l’emploi. Mais elle n’a jamais été aussi dramatique que dans l’Allemagne voisine. Il est fort probable que cette réduction des effectifs s’accélérera de façon drastique avec la « réforme », comme ça a été le cas en Allemagne.

  • Endettement, reprise de dettes et nouvel endettement

En Allemagne, au moment de la fondation de la Deutsche Bahn ( en 1994 ), les dettes de Bundesbahn et Reichsbahn ont été reprises par l’Etat. A l’époque, les dettes additionnées se chiffraient ( en monnaie d’aujourd’hui ) à plus de 50 milliards d’euros. Cependant, la réunification allemande en 1990 et l’infrastructure vétuste de la Reichsbahn en ex-RDA jouaient ici un rôle important. La dette accumulée servait, en tout cas, à effectuer un chantage vis-à-vis des syndicats, des personnels et de l’opinion publique. L’argumentation était la suivante : sans « réforme », le chemin de fer public sera bientôt en faillite.

La DB AG a démarré en janvier 1994 en étant libre de dettes. Toutefois, la DB compte entre-temps – à la mi-2018 – à nouveau 18,6 milliards d’euros d’endettement (nouveau). Cette année, 2018, une augmentation à 20 milliards d’euros est attendue. Pour ces nouvelles dettes, la DB paye chaque année environ 800 millions d’euros pour le remboursement et les taux d’intérêt. Selon l’agence de notation Standard & Poor´s, la Deutsche Bahn AG est surendettée ; aux yeux de l’agence, la perspective est « négative ». Seulement le fait de savoir qu’en cas de faillite de la DB AG, l’Etat interviendrait pour la recapitaliser, empêche ladite agence de notation de publier un jugement encore plus sévère.

SNCF: En France aussi, il est question d’une reprise – partielle – des dettes de la SNCF, qui se chiffrent actuellement à 55 milliards d’euros, par l’Etat. Mais seulement « dans la mesure où la réforme aura du succès », annonce le président Macron. Toutefois une intégration des dettes de la SNCF à celles de l’Etat signifierait une augmentation de l’endettement étatique, qui se chiffre déjà à 2,2 billions d’euros, d’encore 2,5 %. Ce qui serait le contraire de ce qu’Emmanuel Macron s’est fixé comme objectif central : une réduction de la dette. Ainsi beaucoup d’éléments plaident dans le sens où seule une partie de la dette de la SNCF sera réduite.

  • L’infrastrukture – un état qui se dégrade continûment

En Allemagne, l’état de l’infrastructure ferroviaire s’est dégradé de façon significative, surtout depuis la fin des années 1990. Cela est surtout vraie pour les voies secondaires, où il existe souvent encore des matériels de protection datant des années 1980 et où se sont produits de graves accidents ferroviaires, liées à l’insuffisance des matériels de protection. Mais c’est également vrai pour les voies principales, sur lesquelles existent de plus en plus de passages de ralentissement – appelés « La » dans le langage cheminot allemand, pour Langsamfahrstellen ( « lieux de ralentissement de la marche ») – qui seront souvent intégré aux prochains horaires des trains.

De cette manière, même des trajets sur lesquels circule le Train de grande vitesse (en Allemagne : ICE ) se sont ralentis. Ainsi, en 1996, un ICE mettait 121 minutes pour rallier la ville de Stuttgart à Munich. Aujourd’hui ce sont 137 minutes. Des rallongements comparables du temps de trajet existent sur plusieurs lignes.

La proportion des trains arrivant à l’heure est en chute depuis quinze ans. En 2018, pour les trains interrégionaux, elle se situe officiellement en dessous de 80 % ( sachant que sont réputés « à l’heure », des trains qui n’ont pas plus de 5 minutes et 59 secondes de retard ). Selon des statistiques indépendantes, le taux des trains arrivant à l’heure serait même inférieur à 75 %.

SNCF. L’infrastructure en dehors des lignes de TGV se trouve dans un état insuffisamment entretenu, souvent vétuste. Il ne risque pas de s’améliorer avec la réforme projetée – des lignes entières seront même fermées.

  • Réduction de l’infrastructure

En Allemagne, le réseau en exploitation a été réduit depuis la réforme ferroviaire d’environ 8.000 km ( ou 18,5 % ). Ce chiffre tient compte du fait que quelques nouvelles lignes, peu nombreuses, ont été ouvertes.

La réduction en termes de qualité et de capacité d’exploitation de l’infrastructure a été plus importante encore. Depuis la réforme du chemin de fer, le nombre d’aiguillages a été réduit de 46 % sur l’ensemble du réseau, le nombre de kilomètres de rails de remplacement (permettant de faire dévier des trains) de 50 %, et le nombre de connexions ferroviaires pour des entreprises ( voies industrielles ) a été réduit de 80 %.

SNCF: En France, avec la nouvelle « réforme », 9.000 km de rail devraient disparaître. Ce qui correspondrait à une réduction de 26 %.

  • Concentration sur les lignes de grande vitesse – réduction sur le reste du réseau

Déjà avant la réforme de 1994 en Allemagne, il y avait une concentration de l’offre ferroviaire sur les lignes de grande vitesse. Cette tendance s’est renforcé depuis 1994. De nouvelles lignes coûteuses ont été ouvertes, telles que Cologne – Francfort, Hanovre – Berlin ainsi que Berlin – Munich. En même temps, le reste du réseau sur le(s) territoire(s) a été négligé et, voire ci-dessus, passablement réduit.

En 2001, une catégorie de trains très demandé, l’Interregio a été supprimée. Ce train, développé a la fin des années 1980, avait relié les territoires aux trains interrégionaux. A la fin des années 1990, l’Interregio était utilisé par plus de passagers que l’ICE (train de grande vitesse ). Avec la suppression de cette catégorie de trains, des centaines de villes ont perdu leur connexion à la circulation ferroviaire à moyenne et longue distance.

La circulation des ICE et l’ouverture des nouvelles lignes sont financièrement déficitaires, si l’on tient compte du fait que la construction de ces lignes a été entièrement financée par l’Etat. La DB ( ou sa filiale DB Netz, gérant le réseau ) n’a pas à tenir compte d’amortissements pour ces lignes, qui n’apparaissent ainsi pas dans ses bilans.

SNCF:Depuis des décennies, il existe une concentration sur les lignes de TGV. Celles-ci ont été réputées, également depuis des décennies, constituer une « image de marque » d’une politique ferroviaire française couronnée de succès. Les trains d’Alstom ont été et sont toujours comparables, en qualité, avec les ICE ( trains de grande vitesse ) allemands, voire même supérieurs ( par exemple en utilisant des bogies stabilisateurs ). Si le TGV est actuellement remis en cause avec la réforme, ceci a deux aspects : d’un côté, la concentration sur les lignes de grande vitesse, en négligeant les territoires, a été problématique jusqu’ici. De l’autre côté, l’allégation selon laquelle la circulation des TGV serait hautement déficitaire est aussi douteuse. Ici, la question décisive est celle du mode de calcul. En tout cas, si Macron / Philippe prétendent que l’IGE allemande serait – au contraire du TGV française – rentable, cela est faux.

  • La destruction des gares

Au moment de sa création en 1994, la Deutsche Bahn AG possédait encore 5.500 gares. Une grande partie d’entre elles était encore dotée de personnels. Depuis, plus de 2.000 gares ont été vendues. Aujourd’hui, moins de 100 gares sont encore dotées de personnels.

La plupart des gares sont, aujourd’hui, des taches honteuses dans les communes concernées et petites villes : elles sont fermées et se trouvent à l’abandon.

Dans les grandes villes, les gares font souvent l’objet de grandes opérations de spéculation immobilières. Elles ont été vendues à des investisseurs ( ainsi à Hambourg ou Leipzig ). Des gares bien opérationnelles sont abandonnées ou déplacées ( ainsi à Hambourg-Altona où il est prévu de la déplacer à Diebsteich, en marge de ce territoire de Hambourg ). A Stuttgart, depuis 1994, le grand projet néfaste de « Stuttgart 1994 » est sur la table et successivement mis en œuvre : une gare « cul de sac » avec un taux record de trains arrivant à l’œuvre sera abandonné et remplacé par une gare souterraine (« Stuttgart 21 »). Cette future gare sera reliée au réseau par des tunnels longs de soixante kilomètres.

Ce projet a été initialement prévu pour un montant de deux milliards d’euros. Actuellement, il faut tenir pour acquis qu’il coûtera finalement dix milliards d’euros.

SNCF. Ici aussi, l’abandon de gares dans les territoires est à observer depuis longtemps. Il va s’accélerer avec la réforme.

  • Redevances pour les lignes et le stationnement des trains

Depuis la création des filiales gérant l’infrastructure, DB Netz (« DB Réseau ») et DB Station & service, les redevances que ces deux sociétés demandent aux utilisateurs (autres filiales de la DB et entreprises privées ) de payer, se trouvent en augmentation continue. Elles sont nettement supérieures à celles pratiquées dans plusieurs pays voisins. Cela conduit à renchérir en plus la circulation ferroviaire, et à la rendre impossible souvent.

Lorsque, le 16 décembre 2016, l’ensemble de la circulation des trains de nuit de la DB a été supprimée, cela a été justifiée entre autres avec les redevances de lignes trop élevées.

[Ici, je ne dispose pas d’informations suffisantes sur la situation à la SNCF.]

  • Subventions publiques grandissantes

La réforme du chemin de fer en Allemagne en 1994 a été justifiée par le fait que trop d’argent public serait versé pour le système ferroviaire. Il s’agirait de rendre rentable la circulation ferroviaire et de réduire les subventions publiques.

C’est le contraire qui a été réalisé. En 1991 ( la première année suivant la réunification allemande ), 10,3 milliards d’euros de subventions ont été versées au réseau ferroviaire ( à l’époque, à Bundesbahn et Reichsbahn ). Pour l’année 1994, c’était 16,5 milliards d’euros (sachant qu’à l’époque, il existait des charges particulières liées à des investissements nécessaires pour le rattrapage des infrastructures sur le territoire de l’ex-RDA ). En 2017, au total, 17 milliards d’euros d’argent public ont été versés au système ferroviaire dans son ensemble ( toutes entreprises confondues ).

Cette somme ne tient pas compte des taux d’intérêts pour les anciennes dettes reprises de Bundesbahn et Reichsbahn.

Il faut tenir compte, en exposant ces chiffres, que l’infrastructure a été massivement réduite, comme décrite ci-dessus.

SNCF: Beaucoup d’éléments plaident pour l’idée que les subventions publiques au système ferroviaire ne se réduiront pas avec une réforme. Elles évolueront comme en Allemagne. Aussi dans le pays « modèle » de la privatisation ferroviaire, au Royaume Uni, les subventions publiques ont augmenté de façon drastique après la privatisation.

  • Politique de « global player »

La Deutsche Bahn AG a été transformée au cours de ces deux dernières décennies – sous ses chefs successifs Mehdorn, Grube et Lutz – pour former un global player ( une entreprise agissant au niveau international voire mondial ) ; presque la moitié du chiffre d’affaires de la DB est désormais réalisée à l’international. Les investissements à l’étrangers sont effectués pour l’essentiels en dehors du secteur du rail. Souvent, des filiales de la DB agissent ici en concurrents contre des chemins de fer existant encore – telle que les sociétés d’autobus de la filiale DB Arriva.

Cette politiques d’affaires internationale est hautement risquée. Ainsi aux Etats-Unis, la DB s’est vue contrainte d’abandonner et de déclarer presqu’entièrement en perte un lourd investissements (projet Bax Global ).

Surtout, cette orientation constitue un détournement de subventions publiques, versées année après année à hauteur de plusieurs milliards… théoriquement pour développer la circulation ferroviaire sur le territoire allemand.

SNCF : Une orientation comparable est suivie par la SNCF sous la direction de Guillaume Pépy. L’entreprise ferroviaire française est représentée dans deux douzaines de pays avec ses filiales, entre autres en Allemagne avec Keolis ( qui exploite « Eurobahn » dans la région de Rhénanie du Nord-Westphalie ), à Shanghai en Chine avec des lignes de métro, en Australie et en Nouvelle Zélande avec des entreprises de bus et de train, et aux Etats-Unis entre autres avec une participation au projet « Hyperloop » du chef de Tesla, Elon Musk.

  • La libéralisation du trafic de bus interrégionaux

Dans les deux pays – en France et en Allemagne -, la circulation des bus à moyenne et longue distance a été libéralisée ; en France, c’est l’ancien ministre de l’Economie et actuel président Emmanuel Macron qui a mis en œuvre cette politique.

Depuis, le trafic de bus interrégionaux connaît une croissance à deux chiffres, alors que la circulation des trains perd des passagers au profit des bus. Ceci alors qu’en France, c’est la SNCF elle-même qui gère la circulation de ces bus interrégionaux à grande échelle… en faisant concurrence à ses propres trains. En Allemagne, le secteur des bus interrégionaux est désormais contrôle à plus de 90 % par une entreprise, Flixbus.

  • La politique des transports favorise la route et l’aérien – en contradiction totale avec les objectifs officiellement poursuivis

Un parallèle décisif entre l’Allemagne et la France réside, pour finir, dans le point suivant : la politique officielle, à Paris comme à Berlin, affirme privilégier le rail, pour des raisons écologiques et climatiques, plutôt que le transport routier et aérien.

Dans la politique des transports concrète, de jour en jour et de gouvernement en gouvernement ( en France, depuis Jacques Chirac en passant par Nicolas Sarkozy et François Hollande jusqu’à Emmanuel Macron ; en Allemagne, depuis le gouvernement Merkel I jusqu’au gouvernement Merkel IV ), c’est l’exact contraire qui est fait : dans le domaine de la circulation ferroviaire, c’est la réduction, et l’infrastructure existante est usée jusqu’au point de rupture ; le réseau routier est élargi et perfectionné ; des gares deviennent des déserts, alors que des nouveaux aéroports chics sont ouverts. Prendre le train, c’est cher, sauf à attraper une offre promotionnelle ; la circulation automobile individuelle, celle des bus interrégionaux et les compagnies aériennes low cost deviennent de moins en moins chères, comparées au chemin de fer.

Le bilan : des deux côtés du Rhin, beaucoup est fait pour ruiner le chemin de fer, instrument écologique et social.

  • Le personnel dirigeant des chemins de fer est truffé de personnes qui n’ont que faire du rail et défendent des intérêts contraires

Trois des derniers dirigeants les plus éminents du chemin de fer allemands – Heinz Dürr, Hartmut Mehdorn et Rüdiger Grube – venaient de l’industrie automobile et avaient été des managers de premier niveau chez le groupe Daimler. En 2002/2003, un nouveau système tarifaire (« PEP ») a été introduite chez la DB, qui a été largement transposé du transport aérien. Il a dû être supprimé en partie en raison de protestations massives ( ainsi la carte de réduction de 50 % avec l’abonnement « BahnCard50 » avait été supprimée, mais a dû être introduite à nouveau en 2003).

Des nouvelles lignes de grande vitesse desservent bien souvent des aéroports ( ainsi à Francfort, Düsseldorf et à l’avenir à Stuttgart ). La conséquence : les investissements dans la grande vitesse deviennent absurdes, puisque l’arrêt imposé à l’aéroport – après le centre-ville – ralentit la circulation. Des trains de grande vitesse ( ICE ) sont finalement utilisés pour ramener des passagers au transport aérien.

A l’entreprise de bus interrégionaux Flixbus participe – à côté d’investisseurs internationaux – le groupe automobile Daimler, le plus grand producteur de bus en Europe. Daimler et Porsche s’engagent aussi fortement pour le grand projet néfaste « Stuttgart 21 ».

SNCF : Le projet de réforme actuel pour la SNCF a été conçu par l’ancien chef d’Air France, Jean-Cyril Spinetta. Auparavant, Loïk Le Floch-Prigent, appelé à la tête de la SNCF au milieu des années 1990, avait été le patron du groupe pétrolier ELF-Aquitaine. Son successeur Louis Gallois avait été longtemps manager chez Airbus… et est parti, fin 2006, pour prendre la tête d’Airbus.

La différence

En Allemagne, le processus décrit de déclin du chemin de fer a été mené jusqu’ici, pour l’essentiel, sans susciter de grandes résistances. A trois exceptions près : il y avait une résistance victorieuse – portée par la société civile – contre l’introduction en bourse, entre 2005 et 2008. Il y avait une forte riposte de la part des salariés du chemin de fer dans le secteur des trains de nuit, contre la suppression ( néanmoins actée en décembre 2016 ) de la totalité des trains de nuit de la DB. Et il existe jusqu’à aujourd’hui une résistance merveilleuse contre le grand projet néfaste de « Stuttgart 21 » avec des manifestations hebdomadaires, tous les lundis, depuis bientôt huit ans.

En France, depuis de nombreuses années, il y a des grèves massives contre les attaques que subissent les chemins de fer et les agents de la SNCF. A l’automne 1995, de grèves de masse ont eu lieu dans le secteur public, avec la SNCF en fer de lance, contre des « projets de réforme » sous le président alors fraîchement élu, Jacques Chirac. Le gouvernement ( sous le Premier ministre Alain Juppé ) a alors dû reculer. 


Cette année, les cheminots français font grève depuis le 03 avril selon un « calendrier de grève » contre la soi-disant réforme de la SNCF.

Ils font grève deux jours sur cinq. Cela doit être poursuivi au moins jusqu’à fin juin. Et contrairement à la propagande officielle de la direction de la SNCF et du gouvernement, lors de la journée de grève du 14 mai dernier, la participation à la grève chez les conducteurs et le personnel roulant a dépassé les 74 %. Plus de deux tiers des trains ont dû être annulés. Cela est un résultat fantastique, aussi parce que le gouvernement utilise des briseurs de grève – un groupe de salariés d’intervention en Ile-de-France est payé 5.000 euros mensuels -, et malgré le fait qu’en France, contrairement à l’Allemagne, les syndicats ne remplacent pas la perte de revenus des grévistes que ces derniers supportent pour une large partie eux-mêmes. La nouveauté en cette année 2018 réside dans le fait que, suite à un appel à la solidarité lancé par des intellectuels, un fonds de soutien aux grévistes a été créé qui a récolté en l’espace de quelques semaines plus d’un million d’euros. En même temps, les salariés de la SNCF ne se trouvent pas tout seuls. Il y a d’importantes mobilisations des salariés dans les hôpitaux, dans d’autres parties de la fonction publique et à Air France. Il y a un bouillonnement dans des universités et des lycées. Le 26 mai a été une journée de protestation nationale contre la politique du président Emmanuel Macron et de son Premier ministre, Edouard Philippe.

Alors qu’Emmanuel Macron est célébré dans les médias allemands tel qu’une super-star, dans des sondages, maintenant presque 60 % des Français et Françaises déclarent ne pas « faire confiance » en leur président de la République.

Il serait opportun qu’en Allemagne, nous apprenions à « parler français », et à montrer la solidarité avec nos ami-e-s français et françaises.

Sur l’auteur et expert :

Winfried Maria Wolf est économiste, docteur en philosophie et rédacteur en chef de la revue trimestrielle Lunapark21 – Zeitschrift zur Kritik der globalen Ökonomie ( « Lunapark21 – Magazine pour la critique de l’économie politique »).

Il a été député au Bundestag ( parlement fédéral allemand ) de 1994 à 2002, membre du groupe du PDS ( aujourd’hui DIE LINKE ) et porte-parole pour la politique des transports. Wolf est membre du Conseil scientifique d’ATTAC en Allemagne et porte-parole du groupe d’experts du chemin de fer Bürgerbahn statt Börsenwahn ( « Chemin de fer pour les citoyens au lieu de folie boursière »). Il est membre de la fédération syndicale des services Verdi. Il a collaboré avec le syndicat du GDL pendent les grèves en 2014/2015 et publié un journal en solidarité avec GDL.

Wolf a publié une douzaine de livres sur le thème de la politique des transports, de la mobilité et du chemin de fer. Ses livres Eisenbahn und Autowahn ( « Chemin de fer et folie automobile », paru en 1985, republié en 1986 et 1992 ) et Verkehr. Umwelt. Klima – Die Globalisierung des Tempowahns (« Transports, environnement, climat – La mondialisation de la folie de la vitesse », publié à Vienne en 2007 et 2009 ) sont réputés comme des ouvrages de référence. En 2014, il a publié le livre Bitte umsteigen ! 20 Jahre Bahnreform (« Veuillez changer de voie ! Vingt ans de réforme du chemin de fer », Stuttgart 2014, écrit ensemble avec Bernhard Knierim). En janvier 2018 est paru son dernier livre abgrundtief + bodenlos. Stuttgart 21, sein absehbares Scheitern und die Kultur des Widerstands (« Profondément sous la terre et sans fondement. Stuttgart 21, son échec prévisible et la culture de la résistance »), et en mai 2018, son script Elektro-Pkw als Teil der Krise der aktuellen Mobilität (« La voiture électrique comme aspect de la crise de la mobilité actuelle »).